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21
mars
2018

«Allez-y, si ça ne vous fait pas de bien, ça ne vous fera pas de mal.»

Le 21 mars 2018 dans la catégorie Traitements
«Allez-y, si ça ne vous fait pas de bien, ça ne vous fera pas de mal.»

Que les patients qui ont reçu ce type de réponse laconique suite à leur demande de validation médicale de recevoir un traitement parallèle de type "médecine douce" pour atténuer les effets secondaires du cancer lèvent le doigt! Heureusement, une partie du corps médical, plutôt qu'un rejet en bloc, a décider de s'intéresser à la question. La médecine dite intégrative a enfin trouvé sa place dans le monde de la santé. Et c’est tant mieux pour les patients qui, de leur côté, avaient déjà compris que cette complémentarité s’avérait souvent bénéfique. Entretien du magazine suisse L'illustré avec le Dr Rodondi.

De 2010 à début 2018, Pierre-Yves Rodondi a dirigé le Centre de médecine intégrative et complémentaire du CHUV. De cette expérience pilote, il tire des enseignements novateurs sur l’utilité des thérapies naturelles dans le traitement du cancer dans un vibrant plaidoyer en faveur de la médecine intégrative.
 
Cancer et thérapies naturelles. Jusqu’à il y a peu, ces deux termes ne se trouvaient apposés dans la presse, les communications scientifiques ou les discussions de bistrot que pour susciter des controverses enflammées. D’un côté, les convaincus d’une médecine scientifique qui déniaient aux naturopathes, phytothérapeutes et autres acupuncteurs une réelle compétence dans le domaine de la santé, quand ils ne les accusaient pas de charlatanisme. De l’autre, les adeptes d’une médecine naturelle qui reprochaient aux premiers de se contenter de réparer mécaniquement des corps au lieu de soigner des êtres humains, lorsqu’ils n’accusaient pas l’ensemble des médecins d’être à la solde de l’industrie pharmaceutique.
 
Dire qu’aujourd’hui ces deux clans radicalement opposés ont disparu serait pour le moins naïf. Mais les choses sont en train de changer. C’est du moins ce que laisse entendre Pierre-Yves Rodondi, responsable jusqu’en ce début d’année du Centre de médecine intégrative et complémentaire du CHUV. Les thérapies alternatives, auréolées d’un tout nouveau diplôme fédéral, font leur entrée par la grande porte dans les structures hospitalières. La médecine dite intégrative a enfin trouvé sa place dans le monde de la santé. Et c’est tant mieux pour les patients qui, de leur côté, avaient déjà compris que cette complémentarité s’avérait souvent bénéfique.
 
Pierre-Yves Rodondi est généraliste à Pully et enseigne depuis le début de l'année la médecine de famille à l'Université de Fribourg.
 
En quoi a consisté votre tâche au sein du CHUV?
 
La première utilité du Centre de médecine intégrative et complémentaire, c’est qu’il a permis de parler enfin de manière constructive de la question de la place des médecines complémentaires au sein de l’hôpital et de dépasser l’opposition stérile des pour et des contre. Nous avons pu mettre en place des recherches en médecine complémentaire afin, dans un premier temps, de comprendre ce qui se passait dans ce domaine au sein même du CHUV. Un sondage auprès des patients du service d’oncologie a permis d’établir que 45% d’entre eux avaient recours à des médecines complémentaires en même temps que leur chimiothérapie. A partir de là, il était clair que si la moitié des patients avaient recours à ces soins, que l’on s’y intéresse ou pas, que leur efficacité soit scientifiquement prouvée ou non, il fallait s’en occuper. Un autre sondage, cette fois-ci auprès des médecins, sages-femmes, infirmiers et physiothérapeutes, a montré que 90% d’entre eux étaient favorables à l’introduction de certaines médecines complémentaires au sein de l’institution. On peut même parler d’un réel enthousiasme de beaucoup de soignants, comme si la parole s’était enfin libérée. Dans une autre enquête, 90% des médecins de famille vaudois nous ont également fait part de leur intérêt pour les médecines complémentaires. Ne serait-ce que pour pouvoir répondre à leurs patients qui les interrogent d’une autre manière que: «Allez-y, si ça ne vous fait pas de bien, ça ne vous fera pas de mal.» Assertion doublement fausse puisqu’il peut y avoir des interactions néfastes entre, par exemple, une chimiothérapie et les prescriptions de certaines plantes et que l’on a des preuves scientifiques, aujourd’hui, de l’action bienfaisante de certaines médecines complémentaires dans le traitement de plusieurs symptômes liés au cancer, comme la fatigue, la douleur, les nausées ou l’anxiété…
 
Quelle est aujourd’hui la place des médecines complémentaires dans la prise en charge du cancer au sein des grandes institutions hospitalières suisses?
 
On en est encore aux balbutiements… Mais il existe aujourd’hui des problèmes de santé pour lesquels la médecine conventionnelle n’a que peu de réponses, comme la douleur chronique. En ce qui concerne le cancer, si elle a d’excellentes réponses pour traiter la tumeur en termes de chirurgie, de chimiothérapie, de radiothérapie ou d’immunothérapie, elle a beaucoup moins de solutions pour traiter les symptômes engendrés par la maladie et ses traitements. Pour combattre l’épuisement extrême généré par une chimiothérapie, par exemple, la médecine conventionnelle n’a que peu de remèdes alors que les thérapies complémentaires en proposent plusieurs comme le yoga, l’acupuncture ou la méditation. Les Etats-Unis, qui ont une conception beaucoup plus pragmatique de la médecine que nous, offrent dans tous leurs grands centres oncologiques universitaires des médecines complémentaires à leurs patients. En Suisse, il n’y avait pratiquement rien quand j’ai débuté. Aujourd’hui, pour l’oncologie, on compte trois grandes institutions pionnières, l’Hôpital de l’Ile à Berne, l’Hôpital universitaire de Zurich et celui de Saint-Gall avec des unités de médecine complémentaire que les patients peuvent consulter. En Suisse romande, il a fallu attendre l’automne 2017 où le CHUV a ouvert une consultation de conseils sur les médecines complémentaires et différentes thérapies.
 
Un accouchement difficile?
 
Il m’a fallu vaincre nombre de résistances, certains pensant qu’introduire les médecines complémentaires, c’était comme mettre des fleurs dans la chambre du patient pour faire joli, que cela allait coûter trop cher ou que cela allait décrédibiliser l’institution académique. Or s’il existe des données scientifiques positives sur une médecine complémentaire, c’est en refusant de la proposer au patient que l’on décrédibilise l’institution! Mais le soutien, notamment du directeur du CHUV, le professeur Pierre-François Leyvraz, pour qui certaines de ces thérapies doivent être offertes du moment qu’elles peuvent améliorer la qualité de vie des patients, a été déterminant. Même si les résistances, étonnamment, sont venues plus souvent du monde politique que du milieu hospitalier… Toutefois, j’ai bon espoir que les médecines complémentaires bénéficient d’un soutien politique plus fort au cours des prochaines années. C’est tout le propos de la médecine intégrative qui vise à associer aux processus thérapeutiques toutes les thérapies qui ont un effet bénéfique, qu’elles soient issues de la médecine conventionnelle ou complémentaire.
 
D’après vous, existe-t-il des médecines complémentaires qui peuvent guérir le cancer?
 
Aucune médecine complémentaire, à ce jour, ne guérit le cancer. Une étude américaine très sérieuse sortie au début de cette année montre que des patients ne traitant un cancer curable qu’avec des thérapies alternatives avaient de nettement moins bonnes chances de guérison que ceux faisant appel aux traitements conventionnels. Peut-être qu’un jour on trouvera quelque chose. Il ne faut pas fermer la porte, mais toute option thérapeutique doit d’abord être évaluée selon des protocoles scientifiques rigoureux.
 
Existe-t-il, par contre, des thérapies dont l’efficacité dans le traitement des effets délétères d’un traitement oncologique est scientifiquement prouvée?
 
Oui, et c’est très important car, aujourd’hui, les patients ne veulent pas seulement être guéris. Ils veulent également se sentir mieux. Par ailleurs, les progrès impressionnants des dernières années entraînent plus de guérisons et plus de situations où le cancer devient une maladie chronique. On en meurt donc de moins en moins, mais on vit avec de longues années en subissant des traitements souvent très lourds. Ces survivants du cancer, de plus en plus nombreux, il faut s’en occuper. Pour soulager des effets délétères des traitements oncologiques, certaines médecines complémentaires ont fait leurs preuves. Il existe par exemple de très bonnes données concernant l’acupuncture et l’hypnose contre les bouffées de chaleur générées par un traitement d’hormonothérapie en cas de cancer du sein. Certaines plantes, notamment sous forme d’aromathérapie, peuvent être très utiles dans le traitement des troubles du sommeil. Quant à l’anxiété, la dépression et la fatigue, des symptômes qui touchent souvent les survivants du cancer, des thérapies psychocorporelles comme le yoga ou la méditation ont prouvé scientifiquement leur effet positif et on devrait donc les rembourser. On a également de très bonnes données sur la musicothérapie. De plus, le fait que le patient soit amené à être acteur dans sa maladie, qu’il fasse quelque chose, lui-même, pour se soigner peut également avoir une influence positive sur l’évolution de sa maladie. La Ligue suisse contre le cancer fait un gros travail en ce sens.
 
Et le rôle de l’alimentation?
 
On sait aujourd’hui qu’une bonne alimentation, associée à une activité physique régulière, exerce une influence primordiale sur la prévention de certains cancers. Par ailleurs, si vous arrivez, grâce à un régime approprié, à diminuer les nausées qui accompagnent souvent une chimiothérapie, vous évitez des interruptions de traitement et en optimisez l’effet. On sait également que l’obésité augmente à la suite de certains cancers. On doit faire quelque chose à ce sujet en travaillant de concert avec les différents thérapeutes que nos patients consultent déjà pour les aider à adapter leur régime alimentaire et à pratiquer une activité physique régulière.
 
Qu’en est-il des thérapies naturelles dont on n’a pas de preuves scientifiques de l’efficacité? Faut-il les rejeter?
 
Si l’on n’a pas de preuves de leur nocivité possible, il faut rester ouvert à ces thérapies. J’ai, dans ma patientèle privée, des gens qui consultent des guérisseurs. Je le sais, parce qu’ils ne craignent pas de me le dire, sachant que je ne vais pas sauter au plafond et leur faire des commentaires désobligeants. Je m’assure simplement, à chaque fois, qu’ils ont affaire à un soignant bienveillant, ce qui est le cas de la grande majorité des guérisseurs, et qu’ils vont mieux en le consultant. Si c’est le cas, je me vois mal leur interdire de voir ce guérisseur parce que ce n’est pas prouvé scientifiquement… Pareil pour l’homéopathie, même s’il n’y a pas de preuves scientifiques que cela peut aider dans les symptômes du cancer. C’est en ce sens que j’ai constitué autour de moi tout un réseau de thérapeutes avec lesquels je collabore régulièrement.
 
Qu’est-ce qui freine encore la considération pour les thérapies complémentaires dans la prise en charge du cancer?
 
Il est beaucoup plus facile d’intégrer un nouveau médicament dont on a la preuve scientifique de l’efficacité que la méditation ou l’hypnose, même si le même niveau de preuve a été démontré. La médecine conventionnelle est très attachée à la compréhension du mécanisme d’action. Or, dans la plupart des thérapies complémentaires, le mécanisme d’action n’est pas clair. Il y a également la question de l’argent. Actuellement, durant l’hospitalisation d’un patient, le système ne permet pas le remboursement des médecines complémentaires. Des études sont nécessaires pour savoir si les thérapies complémentaires ont un bon rapport entre le coût et l’efficacité dans le traitement de certains problèmes de santé. Si on doit traiter un patient très anxieux avec des rayons ou effectuer sur lui une ponction de moelle et que l’on peut utiliser l’hypnose pour qu’il soit moins anxieux et qu’il ait moins de douleurs, on va faciliter cette intervention et en optimiser les effets. Mais pour cela, une équipe d’infirmières formées à cette technique doit pouvoir, dans un hôpital aussi grand que le CHUV, être disponible pour les patients tous les jours de la semaine. Les soignants gardent une place importante pour les patients, même si l’on sait que le coût d’une ampoule de traitement en chimiothérapie est parfois équivalent au salaire mensuel de l’infirmière qui l’administre… Enfin, un changement des mentalités est nécessaire, comme cela s’est passé à l’époque pour les soins palliatifs: refusés par les hôpitaux à leurs débuts, c’est devenu une prise en charge standard.
 
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