La double peine du cancer reste une réalité absurde et stigmatisante pour ceux qu'on aime appeler fièrement "les survivants". Oui, "survivre" tout est dit. Interdiction de "vivre" tout simplement. La société impose à ceux passés par la terrible case cancer, et l'expérience de sa finitude, des restrictions comme autant d'obstacles à la réalisation de ses projets : emprunts et assurances deviennent un graal inaccessible. Depuis des années, heureusement, des associations, comme Rose up en France, et personnalités, comme le Pr Françoise Meunier en Belgique, se battent pour plus d'équité dans le système. C'est ainsi qu'est né le DROIT à l'OUBLI. Il a récemment été assoupli en France. Voici le point sur ce qu'il ouvre comme perspectives (réduction du délai à 5 ans), et les quelques restrictions (limitation du plafond d'emprunt à 200 000 euros) pour lesquelles il faudra encore batailler, selon moi.
DROIT À L'OUBLI : QU'EST-CE-QUE C'EST ?
C'est le droit de garder le secret. Autrement dit, le fait de ne pas déclarer à son assureur, dans le cadre d'un emprunt, un cancer survenu quelques années plus tôt et désormais guéri. Une "amnésie" autorisée par la loi, et qui permet d'emprunter dans des conditions normales.
Ce droit à l'oubli intervient quelques années après la fin du protocole thérapeutique. Celui-ci inclut la chirurgie, la radiothérapie et les traitements médicamenteux. Mais, et c'est une bonne nouvelle, les traitements persistants tels que l'immunothérapie ou l'hormonothérapie n'en font pas partie, de même que la chirurgie reconstructrice.
DROIT À L'OUBLI : QUI PEUT EN BÉNÉFICIER ?
Jusqu'à présent, lorsque le diagnostic de cancer était posé avant l'âge de 21 ans, le droit à l'oubli s'appliquait 5 ans à compter de la fin du protocole thérapeutique. Mais lorsque le cancer était diagnostiqué après 21 ans, le droit à l'oubli s'appliquait 10 ans à compter de la fin du protocole thérapeutique. Autant dire, une éternité...
Depuis la loi adoptée le 17 février 2022 par les députés et les sénateurs, ce droit à l'oubli passe à 5 ans pour tous les cancers. Et ce, quel que soit l'âge du patient au moment du diagnostic. Acheter une maison ou une voiture, créer son entreprise... ne seront plus mission (quasiment) impossible pour les anciens malades.
Qu'est-ce que cela change ? Beaucoup de choses. "Déjà, mentalement, c'est extrêmement violent de se retrouver face à un assureur qui considère qu'on n'est pas encore guéri,estime Isabelle Huet. Aujourd'hui, quand vous avez été atteint d'un cancer, il est très difficile d'emprunter de l'argent. Soit on refuse de vous assurer, soit on vous impose des surprimes très importantes. Vous payez alors très cher, pour une très mauvaise couverture. Il y a la possibilité de mentir, ou de ne pas s'assurer, mais si un risque se présente - perte d 'emploi, invalidité... -, vous n' êtes pas couvert, c'est donc très dangereux."
De nombreux anciens malades en témoignent, telle Sandra Schmitt, qui a eu un premier cancer en 2002 et un deuxième en 2014 : «J'ai, malgré tout, fait le choix de vivre et d'avoir des projets. Mais je n'ai pas pu être assurée à cause de mon passé médical. Pendant des années, j'ai vécu avec la peur qu'il m'arrive quelque chose, et que ma famille perde tout. Skier, faire du roller ou même conduire, tout m'angoissait."
Il ne faut pas oublier que, derrière ces prêts bancaires, ce sont des vies qui ont besoin de se reconstruire. "Avoir un logement, c'est pouvoir faire des projets, ajoute Isabelle Huet. Personnels, mais aussi professionnels. Quand on crée une entreprise, par exemple, on a besoin de fonds importants pour acheter des locaux."
Avec la réduction du délai, il devient un peu plus simple d'emprunter pour les anciens malades.
DROIT À L'OUBLI : QUELLES SONT LES PATHOLOGIES CONCERNÉES ?
Tous les ex-malades de cancer peuvent en bénéficier, quelle que soit leur pathologie, mais il faut attendre cinq ans après la fin du protocole thérapeutique et en l'absence de rechute. Les patients guéris d'un hépatite C sont aussi concerné.
Les autres pathologies sont pour l'instant exclues de la loi, mais cela pourrait bientôt évoluer. Les signataires de la convention Aeras (s'assurer et emprunter avec un risque aggravé de santé) - conclue entre l'État, les assureurs et les associations - devront négocier, d'ici le 31 juillet 2022, une possible extension du droit à l'oubli pour des pathologies autres que cancéreuses et que l'hépatite C. Les personnes atteintes de maladies chroniques, comme le diabète ou une insuffisance cardiaque, doivent donc encore patienter pour en savoir davantage sur ce qui les attend.
DROIT À L'OUBLI : COMMENT L'EXERCER ?
Le texte adopté et publié au Journal Officiel le 1er mars 2022, prévoit que cinq ans après la fin de leur protocole thérapeutique (phase des traitements actifs), et en l'absence de rechute, les anciens malades du cancer n'ont plus à déclarer cet antécédent de maladie à leur assureur.
Ce texte comprend un autre point important : la suppression du questionnaire médical. Concrètement, pour les prêts immobiliers inférieurs à 200 000 € par personne (400 000 € pour un couple) et dont l'échéance arrive avant le 60e anniversaire de l'emprunteur, ce dernier ne devra plus transmettre à l'assureur d'informations sur son état de santé. Cette mesure entrera en vigueur le 1er juin 2022.
"Quand la nouvelle est tombée, j'en ai pleuré",reconnaît Stéphanie, 45 ans, qui a eu un cancer en 2011 puis un autre en 2019. "Comme mes amies, comme mes voisines, je vais désormais pouvoir faire le tour des courtiers. Ces derniers ne verront plus que mon dossier financier, sans la "carte maladie" qui me collait à la peau. J'ai à nouveau le droit de faire des projets. Je peux, si je le souhaite, acheter un autre appartement, me mettre à mon compte... Cela va transformer ma vie !"
Isabelle Huet conclut : "200 000 €, c'est un peu faible pour des zones en forte tension comme l'Île-de-France. Il faudra aller plus loin, mais c'est déjà une énorme avancée." De quoi diminuer les discriminations, même s'il reste encore du chemin à faire.
Notre experte : Isabelle Huet, directrice générale de l'association RoseUp
Un article de Top Santé par Stéphanie Paicheler
ET EN BELGIQUE ?
Le délai reste à 10 années post traitements et le cancer doit être mentionné dans questionnaire médical, même passé le délai
NDLR : on se demande bien pourquoi, d'ailleurs, vu que l'assureur ne peut pas utiliser ce fait comme motif de refus ou surprime (?).
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